Quand ton père meurt, quand tu sais que ça s’en vient, les choses prennent une autre saveur, une perspective différente.
Ton chien te tombe sur les nerfs, pis là tu te dis que ton père aimerait sûrement ça que ton chien soit couché à ses côtés, respirant doucement en lui procurant compagnie et chaleur.
Quoi que ton père est constamment fiévreux parce que son corps est engagé dans un combat 24/7 contre l’envahisseur et que tu l’as réalisé quand tu le trouvais chaud la dernière fois que tu t’es collé sur lui et qu’il tas expliqué pourquoi il était si chaud…
Toi, tu fais la vaisselle, parce qu’il faut bien la faire. Mais quand ton père meurt, tu te trouves épais d’être en train de faire la vaisselle pendant que ton père meurt.
Pis là, tu réalises que pendant que ton père meurt pis que toi tu te trouves cave d’être en train de faire la vaisselle, lui aimerait sûrement bien plus être en train de faire la vaisselle que d’être en train de mourir, même si ton énervant de chien arrête pas de te tourner autour pour avoir son souper.
Quand la personne qui t’a donné les plus beaux — et certains des pires — souvenirs de ta vie s’étiole, c’est difficile de ne pas avoir l’impression que ces souvenirs s’étiolent avec lui.
Mais c’est ça, la Vie.
Ton premier réflexe c’est de l’envoyer chier, cette Vie.
Mais c’est con de ta part.
Dès l’âge de 7 ans, d’habitude, tu comprends que la Vie c’est aussi sa Fin. Tu ne comprends pas tout, mais tu sais déjà que ce n’est pas pour toujours, et c’est le vertige…
L’envoyer chier, la Vie, c’est normal, sur le coup, mais c’est con. Après, ta job, c’est d’être mature et d’intégrer cette finalité.
Pis la Vie, elle a de drôles de façons de te parler.
Comme l’autre soir…
On se demandait quoi regarder, pis tsé, on a tout regardé: même Netflix a pu grand nouveautés pour nous.
« Regardons ce que le site de Frontline a de nouveau », dis-je.
La plus récente édition, je te le donne en mille, était un documentaire intitulé « Being Mortal » sur comment les médecins abordent la mortalité de leurs patients en phase terminale d’un cancer.
Ça s’invente pas… Et je te le recommande. C’est un très bon docu.
Les gens conspuent le cancer comme si c’était pire ou plus «évitable» qu’une autre maladie. Je comprends que c’est dans l’air du temps, mais je trouve cette réaction convenue.
Un cancer ce n’est pas plus cruel ou regrettable — ou évitable — qu’une cirrhose ou une gangrène, toutes choses étant égales. Quand tu meurs de quelque chose, sans appel, la cause n’a juste plus aucune fucking importance.
Quand ton père meurt, tu ne penses pas à lui dire « crisse de cave, si t’avais pas fumé toute ta vie, aussi », parce que toi aussi, t’as fumé toute ta vie ou presque… Pis anyway, la cause en question n’a juste plus aucune fucking importance.
Tu te dis — en tout cas si t’es comme moi — « OK, la vie, en fin de compte, c’est un long calcul de probabilités », pis tu savais depuis un certain temps que les probabilités ne sont pas en ta faveur, one way or another…
Quand ton père meurt, et que t’as juste 20 ans de différence d’âge avec lui, ça te crisse en pleine face ta propre mortalité, surtout que tu fumes, toi aussi.
Pis quand t’as la face dans ta propre mortalité, tu te remets solidement en question.
Oh ! Je pourrais te raconter ma vie et toutes ces décisions, bonnes ou mauvaises, selon le point de vue, mais ça ne changerait rien.
Lui en a critiqué plus d’une, mais il a — presque — toujours été là: il m’avait prévenu depuis le début qu’il avait des limites — et je ne veux pas dire celles de sa propre mortalité — celles au-delà desquelles il ne viendrait pas m’aider parce que ma décision était trop con.
Mon père m’a appris, plus ou moins directement, et surtout par l’exemple — la meilleure forme d’éducation, si tu veux mon avis — à être Moi.
Le plus beau compliment, que très peu de personnes m’ont fait dans la vie — pas toujours sous forme de compliment et pas toujours par des gens qui m’aiment —, c’était de me dire que j’étais quelqu’un d’intègre, avec qui on a toujours l’heure juste, jamais de bullshit.
Lui n’a jamais accepté de bullshit. Il a pris des décisions très difficiles dans sa vie, et, à la fin, il a choisi l’aide médicale à mourir, et the sooner the better. (le lien est un PDF qui contient tout ce que tu veux savoir sur la question),
« C’est civilisé », disait-il, et il avait parfaitement raison. On va s’en rendre compte, en tant que société, au fur et à mesure que ça va faire partie de nos mœurs.
Après avoir vécu ses derniers mois à ses côtés, aussi souvent que possible en personne, j’ai appris — non, réappris — plusieurs leçons de lui.
C’est de lui que je tiens cette intégrité, cette chose qui fait que t’apprends à ne pas laisser les autres avoir le meilleur de toi juste pour satisfaire leur propre insécurité.
Parce que tsé, 9 fois sur 10, c’est juste ça : le monde qui t’aime pas, c’est parce qu’ils ont l’impression que tu es une menace pour eux, alors qu’en réalité, t’es juste là, à prendre ou à laisser, mais ce qui leur fait peur, c’est que t’acceptes totalement la partie « ou à laisser » de cette affirmation.
Quand ton père meurt, n’empêche, tu te demandes : « est-ce que je suis un aussi bon père que lui ? »
Mon père n’était pas parfait, mais il était parfait pour moi.
Il m’a tant appris, nous avons partagé tant de moments fantastiques, avec la musique plus souvent qu’autrement au coeur de ceux-ci.
Il ne disait pas tout, et j’ai souvent eu l’impression qu’il se trompait dans son choix de ne pas tout dire.
Mais quand ton père meurt, tu essaies très fort de te mettre à sa place.
Et tu réussis.
Mais ça ne veut pas dire que tu comprends tout. Tu n’es pas ton père, même s’il se meurt.
D’ailleurs, il ne voudrait pas que tu meures toi aussi, pas tout de suite: rien de pire que de voir ton enfant mourir avant toi.
Sauf que quand ton père meurt, veux, veux pas, t’as envie de partir avec lui.
Sauf que tu ne le feras pas, parce que tu as aussi réalisé que c’est ça le but d’avoir des enfants et d’être quelqu’un de créatif, ce qu’il t’as appris depuis ta plus tendre enfance: c’est comme ça que tu deviens immortel et que tu contribues à la Vie.
Tu laisses ta marque, et même si ton père est mort, tu te rappelles qu’il a marqué le monde à sa façon, et tu te dis que tu as le devoir de faire comme lui…
Mais calvaire, même si tu aimais tellement ton père que tu te préparais depuis tellement longtemps — pas depuis l’âge de 7 ans, non, c’est sûr, mais au moins depuis l’adolescence — à l’idée qu’il n’est pas éternel, et même si tu avais rendez-vous avec lui pour son départ, et qu’il est parti en faisant des mots d’esprit jusqu’à sa dernière seconde de conscience — quel homme! —, malgré tout ça et toutes les belles choses qu’il a contribué à la vie de tant de gens…
Y’a juste pas de mots.
Pourtant, lui en aurait trouvé au moins 1000!
Je t’aime, Hugues.
Y’a un seul mot qui convient et qui suffit:
Merci